À l'été de 2021, la canicule qui s'est abattue sur la côte canadienne de l'océan Pacifique a été l'événement climatique le plus meurtrier de l'histoire de notre pays. Dans la dernière semaine de juin, au moins 569 personnes sont mortes en Colombie-Britannique, à des températures persistant à plus de 40 °CCelcius, et à peine plus fraîches pendant la nuit.
Les vagues de chaleur ne donnent pas lieu à des images aussi spectaculaires que les incendies ou les inondations. Pas de photos de villes réduites en cendres ou de voitures flottant sur des rivières en crue en première page des journaux. Il n'y a que des personnes qui s'effondrent dans les buissons des parcs ou qui succombent sans bruit dans leur appartement situé en hauteur.
Tout comme certains effets des changements climatiques seront plus visibles que d'autres, certaines personnes seront plus vulnérables que d'autres à ces effets. L'ampleur de ces effets variera en fonction de la géographie et d'un éventail de facteurs sociaux.
Ingrid Waldron, Ph. D., craint que les répercussions des changements climatiques sur les personnes ne soient pas prises en compte quand on discute de détails techniques comme un réchauffement limité à 1,5 °CCelcius prôné par certains ou limité à 2 °CCelcius recommandé par d'autres, les taxes sur le carbone et les cibles d'émission.
« Je ne suis pas climatologue, précise la sociologue née à Montréal et professeure à l'Université McMaster. J'analyse le problème sous l'angle de la race, de la culture, du sexe, de la capacité physique et d'autres facteurs sociaux. »
Sous cet angle, Ingrid Waldron constate que certaines personnes au Canada ont beaucoup plus à perdre que d'autres. Comme c'est le cas pour la pandémie, les pires effets des changements climatiques affecteront principalement les communautés déjà désavantagées par les inégalités structurelles de longue date.
Dans une certaine mesure, ça semble évident. Une personne qui vit dans un logement précaire — qu'il soit mal construit ou non assuré — aura plus de difficultés à se remettre d'une inondation qu'une personne dont le logement est sécurisé. Une personne obligée de survivre avec un budget serré ne subira pas seulement quelques inconvénients si le prix des aliments monte en flèche à cause de catastrophes météorologiques, puisqu'elle pourrait en réalité manquer d'argent pour manger à sa faim. Une personne handicapée vivant dans un logement sans système de climatisation ressentira les effets d'un dôme de chaleur d'une façon bien différente qu'une personne n'ayant pas de handicap vivant dans une maison avec une arrière-cour.
Il faut pousser la réflexion pour se rendre compte que ces personnes — celles qui subiront les pires conséquences à long terme — sont statistiquement plus susceptibles d'appartenir à certains groupes comme les personnes racisées, les personnes handicapées et les femmes.
Mme Waldron voudrait que cette intersectionnalité soit reconnue par le gouvernement fédéral. Elle a été l'instigatrice du projet de loi C-230 émanant d'une députée et réclamant une stratégie nationale pour examiner le lien entre la race, le statut socio-économique et le risque environnemental. Elle se préoccupe du racisme environnemental depuis que ses travaux de recherche lui ont permis de constater que les sites industriels toxiques — comme les dépotoirs, les usines de pâte et papier, les usines pétrochimiques — chevauchent géographiquement les lieux où on trouve des communautés racisées et démunies. Cet aménagement exploite les groupes les plus défavorisés et sous-représentés, sans se préoccuper des conséquences sur leur santé lorsque l'eau, l'air et la terre sont contaminés dans leur environnement
Les peuples autochtones représentent un très bon exemple de cette situation, puisqu'ils sont les premiers à ressentir les effets des changements climatiques en raison de leurs liens avec leur territoire et des conséquences de la colonisation. En tant que gardiens de leur territoire, les peuples autochtones sonnent l'alarme depuis longtemps concernant les changements climatiques et sont à l'avant-garde des efforts pour les limiter. Pourtant, il n'en demeure pas moins que les changements climatiques menacent la capacité des peuples autochtones d'exercer leurs droits inhérents et constitutionnels et de sauvegarder et transmettre leurs connaissances et pratiques traditionnelles. Cela inclut Autumn Peltier de la Première Nation Wiikwemkoong, une adolescente qui protège l'eau et qui s'exprime sur la scène internationale depuis l'âge de 12 ans.
« Au Canada, votre code postal est un déterminant de votre état de santé. » précise la professeure.
Présenté à la Chambre des communes par la députée néo-écossaise Lenore Zann, le projet de loi C-230 n'a pas pu être adopté en deuxième lecture avant de mourir au Feuilleton à la dissolution du Parlement l'été dernier. Toutefois Ingrid Waldron ne baisse pas les bras. Elle prévoit que l'ampleur du racisme environnemental ne pourra que s'étendre à l'ère des changements climatiques. Et elle n'est pas la seule à s'en préoccuper.
« Au Canada, votre code postal est un déterminant de votre état de santé »
Le 8 octobre 2021, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a adopté une résolution reconnaissant officiellement — pour la première fois — que le fait de vivre dans « un environnement propre, sain et durable » est un droit de la personne. Rappelant l'interconnectivité entre la dégradation de l'environnement, les changements climatiques et les droits de la personne, le Conseil demande aux États membres de protéger les populations les plus vulnérables contre les pires effets.
Cependant, la résolution 48/13 va plus loin. En établissant qu'un environnement sain est un droit de la personne, la résolution donne de solides arguments aux personnes qui luttent contre les changements climatiques et la dégradation de l'environnement. Partout sur la planète, des groupes de la société civile poursuivent en justice les gouvernements qui n'ont pas adopté de politiques pour favoriser un environnement sain — et ils gagnent leurs causes.
David Boyd en est convaincu. Cet avocat canadien spécialisé en droit environnemental occupe la fonction de Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme et l'environnement. Selon lui, cette résolution marque un tournant décisif. Par communiqué de presse, il a déclaré qu'elle pourrait changer des vies dans un monde où la crise environnementale planétaire entraîne la mort prématurée de plus de neuf millions de personnes chaque année.
À mesure que la crise climatique s'aggrave, elle frappe de plus en plus près de nous — de fait, elle commence à détruire nos maisons et à affecter notre santé et nos moyens de subsistance. Pour protéger nos concitoyennes et nos concitoyens les plus vulnérables, nous devrons absolument comprendre comment ces effets évoluent sur le terrain. De plus, le fait de définir un environnement sain comme étant un droit fondamental de la personne — et non comme un simple idéal — pourrait s'avérer être une étape décisive dans la lutte pour notre survie.